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Licéité d’un accord en matière de concurrence

Licéité d’un accord en matière de concurrence

Jurisprudence
Groupe de sociétés

Licéité d’un accord en matière de concurrence

ATF 148 III 77

Résumé : le Tribunal fédéral admet le recours de A., une société mère active dans la vente automobile, qui attaque un jugement cantonal fribourgeois en première instance la condamnant à vendre ses pièces détachées à B. SA, grossiste multimarque suisse, en vertu de l’art. 13 lit. b LCart. Le Tribunal fédéral reconnait une violation de l’art. 4 LCart, respectivement de l’art. 5 LCart, interdisant la conclusion d’accords illicites en matière de concurrence. La Cour cantonale avait considéré que le refus de A. de fournir à B. SA directement ou par le biais de ses filiales qu’elle possédait à 100% - et non par son réseau de distribution sélectif- des pièces détachées qu’elle fabriquait elle-même était constitutif d’une atteinte qualitativement grave à la concurrence au sens de l’art. 16 lit. g CommAuto qui contrevenait à l’interdiction de  la conclusion d’accords illicites en matière de concurrence au sens des arts 4 et 5 LCart. Le Tribunal fédéral casse ce jugement en rappelant qu’aucun accord illicite au sens des arts. 4 et 5 LCart ne peut être retenu entre une société mère et ses filiales détenues à 100%. En effet, il ne leur est pas possible a priori de conclure un accord en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1er LCart dès lors qu’elles appartiennent au même groupe.

 

I. Faits principaux

A. est une société mère de construction de véhicule automobile active dans la vente de véhicules neufs et des pièces détachées ou d’origine de marques. S’agissant du commerce des pièces détachées, 80% des pièces vendues sont fabriquées en amont par des sociétés d’équipementier indépendantes de A. là où les 20% de pièces restantes sont fabriquées par A elle-même. 

Des distributeurs agréés, faisant partie d’un réseau sélectif, distribuent les pièces détachées de A. non sans souffrir d’une interdiction de transaction avec tout autre distributeur non membre du réseau de distribution sélectif.

B. SA est un grossiste multimarques basé en Suisse non-membre du réseau sélectif de A. qui a pour activité d’acheter des pièces automobiles détachées et de les revendre sur le territoire suisse.

Depuis fin 2017, lesdits distributeurs agréés refusent de vendre à B. SA des pièces détachées en vertu de leur nouveau contrat de distribution avec A ne le leur permettant pas. A. et ses filiales qu’elle possède à 100% refusent également de leur côté de vendre directement à B.SA les pièces détachées désirées.

B. SA agit dès lors par-devant le Tribunal cantonal du Canton de Fribourg en ouvrant, conformément à l’art. 13 lit. b LCart, une action en conclusion d’un contrat fondée sur le droit de la concurrence contre A. et au travers de laquelle elle conclut notamment pour l’essentiel à la reprise des ventes des produits de pièces détachées de A. en sa faveur.

Le Tribunal cantonal admet l’action s’agissant des 20% de pièces détachées produites par A. elle-même. Le Tribunal cantonal estime que le refus des filiales de A. et de A. lui-même de vendre les pièces détachées qu’elle produit est une atteinte qualitativement grave à la concurrence en vertu de l’art 16 let. g CommAuto, respectivement d’une restriction illicite à la concurrence au sens de l’art. 5 LCart (accords illicites), justifiant de l’admission de l’action précitée.

A. recourt par-devant le Tribunal fédéral et conteste l’application de la CommAuto par la décision entreprise ainsi que l’existence d’un accord en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1er LCart, condition essentielle à la constatation d’une restriction illicite à la concurrence au sens de l’art. 5 LCart.

 

II. Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler de manière générale que toutes les restrictions à la concurrence ne sont pas interdites, mais seulement celles prévues aux arts. 5 et 7 LCart. 

Celui-ci rappelle également que la LCart offre aux personnes qu’une restriction illicite à la concurrence entrave dans l’accès à la concurrence ou l’exercice de celle-ci la possibilité de requérir la condamnation de l’auteur à l’origine de l’entrave à la conclusion d’un contrat avec elles aux conditions du marché (art. 13 lit. b LCart).

Le Tribunal fédéral examine ensuite l’art. 5 LCart retenu par la décision cantonale qui interdit les accords illicites en matière de concurrence. Afin de trouver application, l’art. 5 LCart doit respecter deux conditions principales. 

1.    Il est nécessaire d’être en présence d’un accord en matière de concurrence selon l’art. 4 al. 1er LCart.
2.    Cet accord doit être illicite au sens de l’art. 5 al. 1er LCart.

S’agissant de la première condition, l’art. 4 LCart définit les accords en matière de concurrence comme des conventions avec ou sans force obligatoire ainsi que les pratiques concertées d'entreprises occupant des échelons du marché identiques ou différents, dans la mesure où elles visent ou entraînent une restriction à la concurrence. Cela implique deux sous-conditions que sont l’existence d’un accord et le fait que le but ou l’effet de celui-ci soit de restreindre la concurrence. 

Pour ce qui est de cette première condition, un accord ne sera reconnu que s’il est passé entre deux entreprises distinctes au moins qui occupent des échelons du marché identiques ou différents. Tout accord qui serait passé entre une filiale et la société mère qui la détient à 100% ne rentre pas dans la définition d’un accord en matière de concurrence. 

S’agissant de la seconde condition, l’art. 5 LCart retient qu’un accord en matière de concurrence est illicite lorsqu’ils affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains biens ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d'efficacité économique. 

L’art. 6 LCart précise que les conditions auxquelles des accords en matière de concurrence sont en règle générale réputés justifiés par des motifs d'efficacité économique, peuvent être fixées par voie d'ordonnances ou de communications 

L’art. 16 lit. g CommAuto (Communication concernant l’appréciation des accords verticaux dans le secteur automobile du 29 juin 2015) stipule que la restriction, pour les fabricants de pièces de rechange, d'appareils de réparation, d'équipements de diagnostic ou d'autres équipements, de la possibilité de vendre ces marchandises aux membres d'un réseau de distribution à des opérateurs indépendants ou à des utilisateurs finaux, constitue une atteinte qualitativement grave à la concurrence.

En l’espèce, l’arrêt cantonal retient que le refus de A. ou ses filiales détenues à 100%, de fournir directement à B.SA les pièces de rechange qu’elle fabrique elle-même constitue une violation de l’art. 16 lit. g CommAuto et par là même justifie de l’application de l’art. 5 LCart, respectivement de l’admission de l’art. 13 lit. b LCart. 

À l’inverse et à juste titre, le Tribunal fédéral retient que cela ne suffit pas. En effet, un accord en matière de concurrence au sens de l’art. 4 LCart est nécessaire pour l’application de l’art. 5 LCart. Or, il n’y a pas d’accord entre A. et ses filiales détenues à 100% partant qu’elles appartiennent au même groupe, ce qui rend la conclusion d’un tel accord impossible. Le refus de A. et ses filiales de vendre à B. SA des pièces détachées ne peut donc pas être sanctionné par l’art. 5 LCart.

Le Tribunal fédéral précise même qu’il ne serait pas possible de retenir l’application de l’art. 5 LCart à l’accord entre A. et ses fournisseurs qui est cependant là bien un accord en matière de concurrence s’agissant de la mise en place d’un réseau de distribution sélectif. En effet, B. SA n’est pas parvenu, au sens de l’état de fait de l’arrêt cantonal, à démontrer que ces accords interdisaient à A. de vendre des pièces qu’elle fabrique elle-même ou par le biais de ses filiales détenues à 100% à des tiers non agréés. En d’autres termes, le Tribunal fédéral retient que le refus de A. de vendre les pièces concernées à B.SA ne découle en tout cas pas d’un accord illicite en maitre de concurrence au sens de l’art. 5 LCart.

Le Tribunal fédéral admet donc le recours.

iusNet DS 26.09.2022